Corps confiants à Mardin-Turquie

 

 

« Corps confiants » à Mardin en Turquie Novembre 2019

Mardin, ville culturelle par excellence qui regorge de trésors patrimoniaux. Elle date du 13ème siècle et regorge de merveilles architecturales, Kurdes, Arméniens, Syriens, et Turques se la partagent. En apparence tout fonctionne, on ne ressent aucun danger, malgré la proximité de la Syrie qui se trouve à 30km.

 

Depuis 3 ans le festival international jeune public de Mardin, YOUTH AND CHILDREN THEATER FESTIVAL, essaie de nous inviter suite à une rencontre de l’Assitej à laquelle nous avons participé à Anvers en 2017.

Après l’élection d’Erdogan beaucoup d’organisations culturelles  en Turquie ont rendu l’âme.

En 2017 le festival a été annulé le jour de l’ouverture suite à une descente de police dans le théâtre. Depuis, grâce à la persévérance d’une femme, Nurhan Oktem, directrice du festival, cette semaine festivalière se maintient chaque année au début du mois de novembre. Petit à petit on lui a enlevé le peu de support financier dont elle bénéficiait pour le fonctionnement du festival et pour pouvoir inviter des projets étrangers.

Actuellement, elle mène la barque sans moyens.

 

Le festival repose sur sa foi, le bénévolat de tous, des étudiants motivés ainsi que des compagnies étrangères désireuses de soutenir cette initiative. Ce beau projet semble indispensable pour ne pas perdre le lien avec le reste du monde. Mardin étant à 1500 km d’Istanbul, les autorités politiques n’en ont que faire de la culture surtout dans cette région reculée qui plus est, à la frontière syrienne. A savoir que la population est majoritairement Kurde-Syrienne-Arménienne. Il n’y a que 30% de Turques et tout ce petit monde vit ensemble en harmonie, sur place on ne ressent aucune violence.

 

Nous voici arrivés avec notre spectacle « Corps Confiants » et avec confiance nous découvrons le théâtre universitaire où deux représentations ont été programmées.

Très beau théâtre en apparence, par contre personne pour le manager, un seul homme peu habitué à travailler avec des compagnies. Nous n’avons pas de technicien ni de régisseur pour nous aider.

Le plancher est rempli de clous, ce qui représente un danger pour les danseurs dansant pieds nus. Impossible d’obtenir un tapis de danse nous avons fait le tour du plancher marteau en main afin de limiter les dégâts.

Pas de pendrillons ou plutôt si, mais en partie troués. Tout était très sale, quel dommage pour une si belle salle.

Ce qui nous a le plus frappé, c’est la passivité des personnes qui se trouvent dans ce lieu (université de Mardin) qui devait, il y a quelques années être un haut lieu de la culture. Pas d’étudiants présents pour aider ou qui se seraient intéressés à participer à un tel événement rare dans cette ville. En tant que femme difficile de se faire entendre. Sans palabre, rien ne peut se mettre en place. Dommage de sentir un tel manque d’intérêt à la culture, surtout celle qui est différente. Nous avions prévu 3h de répétition, nous en avons fait 8h.

 

Mercredi, jour des représentations, là le miracle s’opère,  nous étions accompagnés

d’une interprète, très active et attentive. « Corps Confiants » a conquis le public. La jeune interprète a joué le jeu et traduit les mots du spectacle en life. Les enfants très amusés, répétaient les mots en français. Une belle réactivité et participation du public, parents (surtout des femmes) et enfants.

Bien sûr quelques questions restent en suspends, le fait de danser à deux, de promouvoir le contact, le toucher en public entre un homme et une femme a soulevé certaines gênes. Nous nous adressons à un public en partie musulman où l’homme et la femme ne se touchent pas en public. Par contre les enfants ont assez vite adhéré à la proposition de venir danser et d’expérimenter entre eux les propositions de mouvements. La gêne avait disparu pour laisser la place aux corps en mouvement, aux regards attentifs et curieux des parents.

 

« Le lendemain nous étions dans une petite école primaire où la directrice, mamans et enfants ont participé à un atelier que nous donnions. Nous étions 5 personnes : Milton (danseur), Félicette (danseuse) et Marc (musicien) accompagnés de Line notre attachée de diffusion et de notre précieuse interprète, Kubra.

Belle rencontre, l’écoute et l’envie sont au rendez-vous.

Voici quelques retours que je désire partager 

« J’ai l’impression de renaître, j’ai apprécié cette détente qui permet de lâcher tout ce que nous avons dans notre tête. On voit tout ce qu’on peut faire avec notre corps lorsque nous sommes détendues ». La question du genre n’était pas au rendez-vous.

Nous avons réussi notre pari, bien être, joie et envie étaient notre récompense.

 

Nous avons assisté à un spectacle de rue d’un clown italien, dans un village voisin. Proposition axée sur l’humour saisissant le public par des actions participatives. Cela se passait sur la place du village. Surprise, par une audience essentiellement masculine avec quelques enfants qui les accompagnaient. Quelques femmes venues d’Istanbul pour soutenir le festival et des femmes qui regardaient de loin d’un balcon.

À savoir que 3 prestations de ce projet ont été annulées, le défi de ce festival étant aussi de se décentraliser dans les villages, certains ont été fermés. Précaution requise, la guerre menace, malgré la tranquillité ambiante.

 

L’avenir est plus qu’incertain quand à ces échanges culturels, il nous semble à nous artistes important de participer quand cela est possible à ces initiatives qui, dans ce cas –ci, démontre du courage.

Je remercie les relations internationales de nous avoir permis de nous rendre à cet événement.

 

La culture est un endroit où la solidarité ne doit pas être formatée. Permettre un partage de cœur à cœur, sans discrimination, fait partie de notre choix d’être artiste. L’humain où qu’il soit est humain, mon corps dansant n’a pas de frontière et c’est tant mieux car quelle joie de partager et de mettre en commun nos savoirs pour que la communication soit valorisée sans discrimination de temps, de lieu, d’âge et de genre. Un corps est un corps, là où il se trouve, il échange. C’est un droit de vie car nous sommes en vie.

C’est ce que nous avons fait et perçu. Je remercie  ma petite équipe de s’être généreusement impliquée.

 

Confiance est le maitre mot de cette aventure, « Corps Confiants » en a été le témoignage.

 

Félicette Chazerand